La fureur de vivre
Par Marjorie Rousseau, déléguée musicale de Radio France, le 11 novembre 2024
Nous étions une armée est un duo à l’énergie post-rock composé de deux inséparables, Léo Nivot à l’écriture, à la composition, à la guitare et au chant et Rémi Le Taillandier à la guitare, aux machines et aux chœurs. Léo, bourguignon d’origine, est passé par le conservatoire mais c’est en autodidacte qu’il s’est entraîné à la guitare dans une esthétique plus rock. Artiste de scène, habité par la poésie des textes qu’il interprète de tout son cœur et ses tripes, il participe aussi comme compositeur, musicien et comédien à des pièces de théâtre autant qu’à des lectures jouées à Paris comme au festival d’Avignon. Quant à Rémi, ce parisien d’origine s’est essayé comme lead de plusieurs groupes avant de s’investir comme guitariste inspiré aux côtés de son acolyte, partageant le même romantisme exalté. L’étrange nom de leur duo provient d’une double inspiration, celle d’un texte des montréalais A Zilver Mt. Zion où apparaît la phrase we were an army et d’un clin d’œil aux fans bases des années 90 qui se présentaient auprès de leur idole comme leur armée constituée autour d’une passion commune. Ces alter ego forment à eux deux leur propre armée galvanisée par leur goût pour la littérature et la philosophie autours des idées d’Albert Camus et de Friedrich Nietzsche ainsi que celles d’Antonin Artaud pointant la valeur des mots aux pouvoirs magiques, prêts à faire éclore un nouveau monde.
Formé en 2021 au Mans, nous étions une armée est repéré par Superforma qui l’accompagne dans sa structuration avec de nombreuses résidences. Sa prestation musicale dans le court-métrage des Sessions Suspendues 2 de Sourdoreille commence à le faire connaître. S’enchaînent alors des programmations sur des festivals pros en 2023, INOUIS du Printemps de Bourges, MaMA Festival, Bars en Trans puis en 2024 sur la scène dédiée à l’émergence de l’Hyper Weekend Festival de Radio France, doublé de passages radio sur les ondes de Fip et France Inter. Accompagné par Décibels Productions, le groupe, après deux singles, vient de sortir un premier EP de 5 titres depuis toujours, j’ai l’impression que ma vie est sur le point de commencer le 25 octobre 2024. Un aperçu condensé de son premier album à paraître l’année prochaine et déjà en cours d’écriture.
À lire entre les lignes et à écouter au-delà des apparences, il s’avère que le romantisme à priori sombre qui s’exhale de ses compositions n’est pas celui hérité du XIXème siècle qui conjugue idéalisme et fatalisme. Nous étions une armée réinvente ce thème en l’associant à l’observation réaliste d’une situation alliée à la maîtrise de sa propre destinée envisagée avec espoir. Son univers, nimbé d’un manteau obscur, cache donc l’étincelle de vie révélée au-delà des illusions. Des paradoxes, le groupe en divulgue d’autres comme l’association d’une poésie scandée en spoken word inspirée de Kae Tempest en contraste avec le flottement de certains mots chantés à la manière d’Alain Bashung tout comme, côté musique, l’opposition surprenante et addictive entre des notes douces égrenées sur des cordes de guitare et la cadence de tempo syncopés et percussifs.
Alchimiste de la réconciliation des contraires, nous étions une armée surprend donc avec ses propres codes réinventés. Les textes de Léo aspirent à la sublimation de l’expérience douloureuse en acceptant la tragédie pour y faire face et la transcender car sans rupture, pas de renouveau. Revisitant les 5 étapes du deuil, on y retrouve la première phase du déni, « c'est un bonheur trop grand pour moi, ce sont des larmes de joie, je suis si fier » (Héros) s’accommodant d’une fierté confinant à l’orgueil suivi de la colère, de la négociation et de la dépression, « j'avais respecté toutes les superstitions, pas de miroir cassé, pas d'erreur, rien qui pourrait détruire ce que j'attends, mais rien n'arrive, car rien n'arrive quand on l'attend, et j'avais refusé de vivre » (Rendez-vous), qui bloque toute vie au point que ce vide devienne insupportable « je suis toujours ici, dans la même chambre, dans le même désespoir » (La vie éternelle) jusqu’à l’acceptation, dernière étape du deuil « alors j'aurai le courage de partir, j'embrasserai le monde à nouveau, et je vivrai la vie que j'inventais le soir, ce sera comme un rêve pour moi » (La vie éternelle) précédent à tout nouveau départ. C’est en effet en sortant du mental et en agissant, en dansant avec l’existence que se dissipent les regrets et qu’arrive le sentiment d’accomplissement « y'a pas de coup du destin, y'a que la vie qui passe et qu'on doit, attraper au vol, y'a que ça » (Nous étions une armée), ce « faire » cher à l’existentialisme de Jean-Paul Sartre où le bonheur réside dans l’action.
Il y a donc, chez nous étions une armée, des constats posés où ce qui aurait pu être des échecs se révèle autrement, en éradiquant d’abord toute linéarité car le plus court chemin d’un point A à B n’est peut-être pas la ligne droite, finalement. Pour cela, il faut savoir se perdre dans la circularité du temps, tourner en rond dans des schémas de frustrations répétitifs qui nous enseignent là où une clef reste à trouver pour débloquer une autre voie. En sortant de la victimisation, intégrer le démiurge en nous, ce magicien prestidigitateur qui peut transformer n’importe quelle réalité triviale en occasion de grâce, de joie et d’émerveillement « il y a des secondes qui bouleversent toute une vie, il y a des secondes qui sauvent, juste-là c'est peut-être la vie qui recommence » (Héros). Accueillir « l'espoir, l'envie de vivre que je croyais cachée, très loin de moi » (La vie éternelle), la foi en ce que la vie nous offre chaque jour le meilleur d’elle-même en acceptant la perfection du présent « je comprendrais peut-être que je t'aimais, que mes plus belles années sont derrière moi qu'on ne devrait jamais vivre pour plus tard » (Pour plus tard). Vivre sa vie à fond dans une valse sans fin pour qu’un jour le cycle des désillusions laisse place à une nouvelle chance que l’on saisit malgré les doutes, les peurs et les souvenirs douloureux des ratages précédents « je vais tout recommencer, reprendre l'histoire du début, redire encore les mêmes prières, et me convaincre moi-même » (La vie éternelle).
L’espoir, cette petite chose fragile au pouvoir miraculeux qui nous murmure qu’il ne faut qu’une seule tentative pour décoller quand on a résisté à reconnaître la noirceur des pensées qui nous clouent au sol. Il ne reste plus qu’à se relever et, pourquoi pas, s’envoler, portés par la fureur de vivre.
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- Le 19 novembre 2024 à Paris (75) au Point Ephémère pour la release party de l’EP, réservation sur pointephemere.org
- Le 12 février à Cenon (33 ) au Rocher de Palmer en première partie de Lescop, réservation sur lerocherdepalmer.fr