Marco Stroppa. Upon a blade of grass
En téléchargement. Mise en ligne le 12 février 2014
Concerto pour piano et orchestre.
Pierre-Laurent Aimard, piano.
Orchestre Philharmonique de Radio France. Peter Eötvös, direction.
Histoires naturelles
De ce concerto de la jeune maturité (1996) de Marco Stroppa, compositeur de Traiettoria, la pièce de référence du répertoire contemporain pour piano et électronique, et longtemps attaché à l’Ircam (dont il a été un directeur de la recherche musicale et de la la pédagogie, poste «historiquement» rattaché à Luciano Berio, auquel une partie de la pièce se réfère), on pourrait attendre un propos formaliste à l’extrême, détaché de toute référence extra-musicale. La surprise est grande de découvrir dès le titre, a fortiori dans un genre auquel les Romantiques les plus programmatiques n’ont jamais dérogé aux règles de la simple appellation formelle (Concerto n°1, 2, etc.), un renvoi à la littérature (un poème de Yeats) et la revendication d’une inspiration métaphorique : «Le brin d’herbe auquel sont suspendues des gouttes de rosée évoque le piano suspendu à un orchestre transparent disposé symétriquement autour de lui» explique le compositeur.
A partir de cette image se déploie un schéma formel, à la fois fortement inspiré par la poétique propre de Yeats et par des préoccupations de psychologie cognitive, liées à la perception, à la mémorisation ou au souvenir de stimuli sensoriels, propres au compositeur : «La vision de Yeats est connectée avec l’idée de ‘gyres’, ces cônes qui tournoient en spirale (…) Et ce sont bien une série de «spirales» qui constituent la forme de l’œuvre, divisée en trois parties principales, lente, rapide et lente. Au début, une vibration étrange s’épanouit peu à peu, et dans cette éclosion apparaît le piano, comme le pistil dans la corolle d’une fleur, lors d’un film accéléré (…) La deuxième partie (…) est la «transfiguration» d’une miniature pour piano, «Tangata Manu», inspirée par le mythe de l’homme-oiseau sur l’île de Pâques. La forme simule un processus cognitif : imaginez un auditeur qui, après avoir écouté la miniature, essaie de la réécrire pour orchestre de mémoire, à sa façon, avec davantage de couleurs, parfois en se trompant sur l’ordre ou la durée de ses pensées. L’idée de réminiscence nourrit également le finale (…) Ce mouvement est en effet dédié à la mémoire de Ken Saro-Wiva, grand écrivain nigérien, ayant dénoncé son gouvernement et les ravages environnementaux de Shell en pays Ogoni. Condamné à mort par la dictature du général Abacha, il fut pendu le 10 novembre 1995 alors que je travaillais à ce concerto, dans l’indifférence générale». Achevant cette présentation des différents symboles actifs dans l’œuvre, Marco Stroppa annonce «une conclusion énigmatique, mélange de sérénité et de tristesse qui termine l’œuvre sans pour autant en clore définitivement sa mémoire.»
Révisé en 2006, dix ans après sa création au Festival de Salzburg (dans la série mécénée par Betty Freeman) par l’Orchestre de Cleveland dirigé par Christoph von Dohnanyi, Upon a Blade of Grass tient une place de choix dans les œuvres de référence au «catalogue» du pianiste Pierre-Laurent Aimard, aux côtés des concertos du classicisme viennois et de ceux de ses contemporains, comme celui de George Benjamin. Nul doute qu’il n’y apprécie particulièrement la finesse (sans minauderie, allant de l’acidité la plus crue aux sépias les plus filtrés) des paysages orchestraux magnifiant un piano coloré à l’extrême par les effets de résonance instrumentaux les plus imaginatifs (Stroppa est pianiste de formation et un orchestrateur de génie, courtisé par les plus grandes écoles d’art) dans cette œuvre où le piano «brin d’herbe» et le large orchestre «gouttes de rosée» (souvent évanescent malgré ses bois par 4 et ses 6 cors) cadencent à tour de rôle pour créer un écosystème musical au pouvoir suggestif infini.
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L’Orchestre Philharmonique de Radio France a toujours été un acteur majeur de la création musicale. Chaque saison, l’Orchestre Philharmonique propose une quinzaine d’œuvres nouvelles en création, et participe aux grands festivals de musique contemporaine (Présences, Musica, ManiFeste, Festival d’Automne à Paris). Les musiciens ont eu la joie d’accueillir de nombreux compositeurs pour diriger leurs œuvres comme Pierre Boulez, Peter Eötvös, George Benjamin, ou Esa-Pekka Salonen.
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La collection DENSITÉ 21 – RADIO FRANCE.