Tristan Murail. Terre d’ombre
En téléchargement. Mise en ligne le 12 février 2014
Tristan Murail, « Terre d’ombre ».
Orchestre Philharmonique de Radio France.
Géologie spectrale
On a coutume de distinguer le « style français » en art, et singulièrement dans l’art musical, par l’alliance subtile entre d’un côté le sens des proportions et de la mesure, et de l’autre le goût des couleurs et de l’apparence. Raison et hédonisme, mathématique et esthétique : rien ne serait plus éloigné de la démarche des principaux compositeurs du spectralisme, à commencer par Gérard Grisey (1946-1998) et Tristan Murail (né en 1947), que de revendiquer une filiation « identitaire » autour de ces pôles d’influence stylistique. Toutefois, la raison n’étant pas sans ruse comme on le sait, et le plaisir se transcendant régulièrement dans le calibré et le normé, les grandes réalisations spectrales parcourent le monde en agrégeant et enthousiasmant les publics les plus sensibles au répertoire français. Présenté à la Philharmonie de Berlin en avril 2004 par le festival MärzMusik, dont le directeur Matthias Osterwold, remarquable connaisseur de la scène française, a toujours souhaité illustrer les créateurs formés en France, Terre d’Ombre « déploie pendant vingt minutes un tissu orchestral ultra-raffiné entre Debussy et Dutilleux » selon Eric Dahan dans une critique parue le lendemain de la création dans « Libération » : on ne saurait faire plus directement référence aux singularités d’un style français.
Il serait dommage cependant, confronté à la culture musicale et au métier d’un Tristan Murail, longtemps professeur de composition à la prestigieuse Columbia University de New York, de se priver de grilles de lecture/d’écoute complémentaires. Dans un texte informé, le musicologue Benoît Walther, révèle les phénomènes structurants de la pièce : « dans la pensée de Tristan Murail, la notion de processus est centrale. (Ainsi) au début de cette œuvre, un geste initial propose une première présentation du matériau musical qui, après un silence, est repris différemment. Peu à peu émergent des lignes mélodiques qui sont elles-même la conséquence d’une transformation, ou une expression distordue, du matériau de départ. Le discours est en perpétuelle mutation. » Dans la composition spectrale, cette écriture en variation infinie, le plus souvent bi-dimensionnelle (hauteurs, rythme) dans la composition classique, voit son champ de rayonnement prendre un relief particulier avec l’attention portée au timbre, comme si s’ouvrait une troisième dimension : cherchant à magnifier les résonances selon le spectre naturel, l’orchestre, fourni (bois par 4, 6 cors…), n’hésite pas à jouer de vents « désaccordés » (les fameux quarts de ton et micro-intervalles des écritures contemporaines) et à agréger les sonorités électroniques pour créer un continuum sonore. A défaut d’une ligne, c’est donc une masse mobile, éclairée selon différents angles, dont nous suivons le devenir à l’écoute de Terre d’ombre. Avec cette œuvre, le compositeur, auteur d’opus symphoniques comme Gondwana (1980) et du Partage des Eaux (1995), sans parler des classiques Mémoire/Erosion et L’Esprit des Dunes pour ensemble, poursuit l’exploration fascinante d’une écriture « géologique ».
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L’Orchestre Philharmonique de Radio France a toujours été un acteur majeur de la création musicale. Chaque saison, l’Orchestre Philharmonique propose une quinzaine d’œuvres nouvelles en création, et participe aux grands festivals de musique contemporaine (Présences, Musica, ManiFeste, Festival d’Automne à Paris). Les musiciens ont eu la joie d’accueillir de nombreux compositeurs pour diriger leurs œuvres comme Pierre Boulez, Peter Eötvös, George Benjamin, ou Esa-Pekka Salonen.
Retrouvez le souffle de la musique d’aujourd’hui, dans une collection unique en téléchargement, l’occasion de découvrir les mondes sonores de : Augusta Read Thomas, Yan Maresz, Bruno Mantovani, Tristan Murail, Marco Stroppa.
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La collection DENSITÉ 21 – RADIO FRANCE.